Le ciel était orangé, beaucoup de sang avait coulé cette nuit. Le vent frais fît frissonner sa robe noire, et le toit de feuille qui l’entoure. Posté sur une grosse branche d’orme, il porta un regard éteint à l’horizon, sur quelques fumées de campements orcs. Comment ne pas se sentir impuissant face à ces hordes qui n’ont de cesse de revenir toujours en nombre.
Il dressa fièrement la tête en étirant tout son corps, poussant un puissant croassement qui fît relever le visage de sa maîtresse vers lui. Un sourire, les yeux plissés, la tête légèrement inclinée, son avant-bras l’invita et le corbeau s’empressa de la rejoindre. Il grimpa jusqu’à son épaule en maîtrisant l’étreinte de ses serres puis pencha son bec vers l’ouvrage étendu sur ses cuisses.
Le grimoire était épais, protégé par une couverture en cuir extraordinaire, serti de mythril. Une rune en son centre en protégeait l’ouverture par un mécanisme complexe.
Certaines formules avaient été partiellement effacées par le temps et l’usure, et Anna Lucia s’évertuait à les recomposer. Elle testait les effets, modifiait les composantes, ajoutait des essences. Lorsque la recette s’était avérée efficace ou semblait l’être, elle l’inscrivait dans ce grimoire.
Profitant d’un moment de calme, elle aimait à faire l’inventaire de ses trouvailles de la journée. Curieuse et toujours aux aguets, il n’était pas rare de la voir glisser dans de minuscules sacoches, toute sorte de substances qui devenaient des ingrédients.
Elle redressa son dos et s’installa plus confortablement contre l’écorce de l’arbre, sa chevelure caressant les plumes de son comparse de toujours. Elle prît l’élégante plume qui reposait à ses cotés, et plaça ses doigts sur la rune, la tournant plus ou moins en divers sens selon une combinaison complexe. Un déclic se fît entendre, elle détacha la pièce métallique qui retenait les pages, lentement, elle passa sa main sur les premières avec mélancolie et respect.
Elle trempa la plume dans l’encrier ; une plume noire, longue et fine. Elle crissa sur le papier jaunis, marqués par le temps et c’est avec beaucoup de soin qu’elle calligraphia l’en-tête de sa plus belle écriture. Elle connaissait ces mots par cœur pour les avoir longuement réfléchit, étudié, remanié…
Quand enfin, elle eût terminé la formule, elle délia le cuir qui maintenait une de ses multiples petites sacoches à sa ceinture, et y plongea son index. Puis elle appliqua son doigt au bas de la page. Son empreinte huilée fût absorbée par le papier laissant un relief luisant sous le soleil d’Eriador. Elle referma soigneusement l’encrier, le replaçant dans une de ses pochettes puis d’un geste lent, son poignet se cassant, elle éventa l’encre à l’aide de la plume..
Elle referma le grimoire qui en un sourdre déclic fût scellé.
Le vent se lève, et les invite à le purifier. Cheveux et plumes d’un noir profond au reflets bleutés, ondulent dans un même frisson, leurs pupilles noires dardant de nouveau l’horizon sublimé par les lueurs orangées.
La nuit avait été longue pour les orcs, et leur réveil se révèlera sanglant.